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Les femmes et le tango

8 mars, journée internationale (des droits) des femmes

Le 8 mars est la journée inter­na­tionale (des droits) des femmes. Il me sem­ble d’actualité, d’aborder la ques­tion des femmes dans le tan­go. Il faudrait plus qu’un arti­cle, qu’un livre et sans doute une véri­ta­ble ency­clopédie pour traiter ce sujet, aus­si, je vous pro­pose unique­ment quelques petites indi­ca­tions qui rap­pel­lent que le tan­go est aus­si une his­toire de femmes.

“We can do it” (on peut le faire). Affiche de pro­pa­gande de la société West­ing­house Elec­tric pour motiv­er les femmes dans l’effort de guerre en 1943. Elle a été créée par J. Howard Miller en 1943.

Cette affiche rap­pelle, mal­gré elle, que la journée du 8 mars était au début la journée des femmes tra­vailleuses, journée créée en mémoire des 129 ouvrières tuées dans l’incendie de leur man­u­fac­ture le 8 mars 1908. Ce sont les pro­pres pro­prié­taires de cette usine, la Cot­ton Tex­tile Fac­to­ry, qui ont mis le feu pour régler le prob­lème avec leurs employées qui récla­maient de meilleurs salaires et con­di­tions de vie avec le slo­gan « du pain et des ros­es »…

Du pain et des ros­es, un slo­gan qui coûtera la vie de 129 ouvrières du tex­tile le 8 mars 1908 à New York.

On se sou­vient en Argen­tine de faits sem­blables, lors de la semaine trag­ique de jan­vi­er 1919 où des cen­taines d’ouvriers furent assas­s­inés, faits qui se renou­vèleront deux ans plus tard en Patag­o­nie où plus de 1000 ouvri­ers grévistes ont été tués.
Aujourd’hui, la journée des femmes cherche plutôt à établir l’égalité de traite­ment entre les sex­es, ce qui est un autre type de lutte, mais qui ren­con­tre, notam­ment dans l’Argentine d’aujourd’hui, une oppo­si­tion farouche du gou­verne­ment.

Une petite musique de fond pour la lecture de cette anecdote…

Las mujeres y el amor (Ranchera) 1934-08-16 – Orques­ta Osval­do Frese­do con Rober­to Ray.

Il s’agit d’une ranchera écrite par Eduar­do Vet­ere avec des paroles de Manuel R. López. Le thème (les femmes et l’amour) me sem­blait bien se prêter à notre thème du jour).

Les origines du tango et les femmes

Je passerai sous silence les affir­ma­tions dis­ant que le tan­go se dan­sait ini­tiale­ment entre hommes, car, si, on a quelques pho­tos mon­trant des hommes dansant de façon plus ou moins grotesque, cela relève plus de la charge, de la moquerie, que du désir de pra­ti­quer l’art de la danse.
Le tan­go a divers­es orig­ines. Par­mi celles-ci, le monde du spec­ta­cle, de la scène, du moins pour ses par­tic­u­lar­ités musi­cales. Dans les spec­ta­cles qui étaient joués dans la sec­onde moitié du dix-neu­vième siè­cle, il y avait des femmes sur scène. Elles chan­taient, dan­saient. Elles étaient actri­ces. Les thèmes de ces spec­ta­cles étaient les mêmes qu’en Europe et sou­vent inspirés par les pro­duc­tions du Vieux Con­ti­nent. Elles étaient des­tinées à ceux qui pou­vaient pay­er, et donc à une cer­taine élite. Je ferai le par­al­lèle avec Car­men de Jorge Bizet, pas à cause de la habanera, mais pour mon­tr­er à quoi pou­vait ressem­bler une des pro­duc­tions de l’époque. Des his­toires, sou­vent sen­ti­men­tales, des fig­u­rants et dif­férents tableaux qui se suc­cé­daient. La plu­part du temps, ces spec­ta­cles relèvent du genre « vaude­ville ». Les femmes, comme Car­men, étaient sou­vent les héroïnes et a min­i­ma, elles étaient indis­pens­ables et présentes. Au vingtième siè­cle, lorsque le tan­go a mûri, on retrou­ve le même principe dans le théâtre (Buenos Aires est la ville du Monde qui compte le plus de théâtres), mais aus­si dans le ciné­ma. Je pense que vous aurez remar­qué à la lec­ture de mes anec­dotes qu’une part impor­tante des tan­gos provient de films et de pièces de théâtre.
Une autre orig­ine tourne autour des faubourgs de Buenos Aires, du mal-être d’hommes en manque de com­pag­nie fémi­nine. Dans ce monde dur, où les couteaux sor­taient facile­ment, où on tra­vail­lait dans des usines, aux abat­toirs ou aux travaux agri­coles et notam­ment l’élevage, les femmes étaient rares et con­voitées. Cela don­nait lieu à des bagar­res et on se sou­vient que le tan­go canyengue évo­quait par ses pass­es des fig­ures de com­bat au couteau. Les hommes qui avaient la pos­si­bil­ité de danser avec une femme d’accès facile jouaient une sorte de comédie pour les com­pagnons qui regar­daient, cher­chant à se met­tre en valeur, se lançant, comme en témoignent les paroles des tan­gos, dans des fig­ures auda­cieuses et com­bat­ives, comme les fentes. La pénurie de femmes, mal­gré les impor­ta­tions à grande échelle de grisettes français­es et de pau­vres hères d’autres par­ties de l’Europe, fait que c’est dans les bor­dels qu’il était le plus facile de les abor­der. Dans ces maisons, clos­es, il y avait une par­tie de spec­ta­cle, de déco­rum et la danse pou­vait être un moyen de con­tact. Il suff­i­sait de pay­er une petite somme, comme on l’a vu, par exem­ple pour Lo de Lau­ra. Dans cet univers, le tan­go tour­nait autour des femmes, comme en témoigne la très grande majorité des paroles, et ce sont des femmes, dans les meilleurs quartiers qui tenaient les « maisons ». Dans les faubourgs, c’était plutôt le cabareti­er qui favori­sait les activ­ités pour que les clients de sa pulpe­ria passe du temps et con­somme.
Une dernière orig­ine du tan­go, notam­ment en Uruguay est l’immigration (for­cée) d’Afrique noire. Ces esclaves, puis affran­chis, tout comme ce fut le cas dans le Sud des USA, ont dévelop­pé un art musi­cal et choré­graphique pour exprimer leur peine et enjo­liv­er leur vie pénible. Là encore, les femmes sont omniprésentes. Elles dan­saient et chan­taient. Elles étaient cepen­dant absentes comme instru­men­tiste, les tam­bours du can­dombe étaient plutôt frap­pés par des hommes, mais ce n’est pas une par­tic­u­lar­ité de la branche noire du tan­go.

Les femmes comme source d’inspiration

Si on décidait de se priv­er des tan­gos par­lant des femmes, il n’en resterait sans doute pas beau­coup. Que ces dernières soient une étoile inac­ces­si­ble, une traitresse infidèle, une com­pagne aimante, une femme de pas­sage entre­vue et per­due ou une mère. En effet, le thème de la mère est forte­ment présent dans le tan­go. Même les mau­vais gar­ne­ments, comme Gardel, n’ont qu’une seule mère.

Madre hay una sola 1930-12-10 — Ada Fal­cón con acomp. de Fran­cis­co Canaro (Agustín Bar­di Letra : José de la Vega).

Je vous pro­pose une ver­sion chan­tée par une femme, la maîtresse mal­heureuse de Fran­cis­co Canaro, Ada Fal­cón.

Je ne ferai pas le tour du thème des femmes inspi­ra­tri­ces, car vous le retrou­verez dans la plu­part de mes anec­dotes de tan­go.

Les femmes danseuses

Je n’aborderai pas non plus le thème des femmes danseuses, mais il me sem­ble impor­tant de les men­tion­ner, car, comme je l’indiquais au début de cet arti­cle, c’est aus­si pour approcher les femmes que les hommes se con­ver­tis­sent en danseurs…

Car­menci­ta Calderón et Ben­i­to Bian­quet (El Cachafaz) dansent El Entr­erri­ano de Ansel­mo Rosendo Men­dizábal, dans le film « Tan­go » (1933) de Luis Moglia Barth.

Les femmes et la musique

La musique en Europe était surtout une affaire d’hommes si on se réfère à la com­po­si­tion ou à la direc­tion d’orchestre. Les femmes tenaient des rôles plus dis­crets, comme vio­lonistes dans un orchestre, ou, plus sûre­ment, elles jouaient du piano famil­ial. Le manque de femmes dans la com­po­si­tion et la direc­tion d’orchestre n’est donc pas un phénomène pro­pre au tan­go. C’est plutôt un tra­vers de la société patri­ar­cale ou la femme reste à la mai­son et développe une cul­ture artis­tique des­tinée à l’agrément de sa famille et des invités du « maître » de mai­son.
Cepen­dant, quelques femmes ont su domin­er le tabou et se faire un nom dans ce domaine.

Les femmes musiciennes

Aujourd’hui, on trou­ve des orchestres de femmes, mais il faut recon­naître que les femmes ont tenu peu de pupitres à l’âge d’or du tan­go.
Fran­cis­ca Bernar­do, plus con­nue sous son pseu­do­nyme de Paqui­ta Bernar­do, est la pio­nnière des ban­donéon­istes femmes.

Paqui­ta Bernar­do (1900–1925) , pre­mière femme con­nue pour jouer du ban­donéon, un instru­ment réservé aux hommes aupar­a­vant.

Morte à 25 ans, elle n’a pas eu le temps de laiss­er une mar­que pro­fonde dans l’histoire du tan­go, car elle n’a pas enreg­istré de disque. Cepen­dant on con­naît ses tal­ents de com­positrice à tra­vers quelques œuvres qui nous sont par­v­enues comme Flo­re­al, un titre enreg­istré en 1923 par Juan Car­los Cobián.

Flo­re­al 1923-08-14 — Orques­ta Juan Car­los Cobián.

L’enregistrement acous­tique ne rend pas vrai­ment jus­tice à la com­positrice. C’est un autre incon­vénient que d’être décédé avant l’apparition de l’enregistrement élec­trique…

Je vous pro­pose égale­ment deux autres de ses com­po­si­tions enreg­istrées par Car­los Gardel, mal­heureuse­ment encore, tou­jours à l’ère de l’enregistrement acous­tique.

La enmas­cara­da 1924 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras), avec des paroles de Fran­cis­co Gar­cía Jiménez.
Soñan­do 1925 — Car­los Gardel con acomp. de Guiller­mo Bar­bi­eri, José Ricar­do (gui­tar­ras), avec des paroles de Euge­nio Cár­de­nas.

Mais d’autres femmes furent com­positri­ces.

Les femmes compositrices

L’exemple de musique com­posée par une femme le plus célèbre est sans doute la mer­veilleuse valse, « Des­de el alma » com­posée par Rosa Clotilde Mele Luciano, con­nue comme Rosi­ta Melo. Cette pianiste uruguayenne a une page offi­cielle où vous pour­rez trou­ver de nom­breux élé­ments.

Rosi­ta Melo, com­positrice de Des­de el Alma.
Des­de el alma (Valse) 1947-10-22 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro con Nel­ly Omar.

Je vous pro­pose une des plus belles ver­sions, chan­tée par l’incroyable Nel­ly Omar (qui vécut 102 ans).

Là encore, c’est une courte cita­tion et une femme un peu par­ti­c­ulière va me per­me­t­tre de faire la tran­si­tion avec les auteures de paroles de tan­go. Il s’agit de María Luisa Gar­nel­li.

Les femmes auteures

María Luisa Gar­nel­li est à la fois com­positrice et auteure. J’ai par­lé d’elle au sujet d’une de ses com­po­si­tions, La naran­ja nacio verde.

María Luisa Gar­nel­li, alias Luis Mario et Mario Cas­tro.

Retenons qu’elle a pris divers pseu­do­nymes mas­culins, comme Luis Mario ou Mario Cas­tro, ce qui lui per­mit d’écrire des paroles de tan­go en lun­far­do, sans que sa famille bour­geoise le sache… Elle fut égale­ment jour­nal­iste et cor­re­spon­dante de guerre…
Je vous pro­pose d’écouter un autre des titres dont elle a écrit les paroles, El male­vo, sur une musique de Julio de Caro. Ici, une ver­sion chan­tée par une femme, Rosi­ta Quiroga.

El male­vo 1928 — Rosi­ta Quiroga con gui­tar­ras.

Si vous souhaitez en con­naître plus sur sa tra­jec­toire par­ti­c­ulière, vous pou­vez con­sul­ter une biogra­phie écrite par Nél­i­da Beat­riz Cirigliano dans Buenos Aires His­to­ria.

Les femmes chanteuses

Je ne me lancerai pas dans la liste des chanteuses de tan­go, mais je vous pro­pose une petite galerie de pho­tos. Elle est très loin d’être exhaus­tive, mais je vous encour­age à décou­vrir celles que vous pour­riez ne pas con­naître.
Je vous pro­pose d’écouter une ver­sion de la cumpar­si­ta par Mer­cedes Simone pour nous quit­ter en musique en regar­dant quelques por­traits de chanteuses de tan­go.

La cumpar­si­ta (Si supieras) 1966 — Mer­cedes Simone accom­pa­g­née par l’orchestre d’Emilio Brameri.

El Cachafaz 1937-06-02 — Orquesta Juan D’Arienzo

Manuel Aróstegui (Manuel Gregorio Aroztegui) Letra: Ángel Villoldo

Si vous vous intéressez à la danse du tan­go, vous avez for­cé­ment enten­du par­ler de El Cachafaz . C’était un danseur réputé, mais était-il réelle­ment appré­cié pour ses qual­ités humaines ? D’un côté, il a un tan­go qui lui est dédié, mais les paroles ne le décrivent pas à son avan­tage. D’autre part, si la ver­sion de D’Arienzo qui est notre tan­go du jour est remar­quable, les autres inter­pré­ta­tions ne sont pas si agréables que cela, comme si les orchestres avaient eu une réti­cence à l’évoquer. Je vous invite aujourd’hui à décou­vrir un peu plus de qui était el Cachafaz, la canaille.

Extrait musical

Par­ti­tion pour piano de El Cachafáz
El Cachafaz 1937-06-02 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

La musique com­mence par le cor­net du tran­via (tramway). Le piano de Bia­gi, prend tous les inter­valles libres, mais le ban­donéon et les vio­lons ne méri­tent pas. C’est du très bon D’Arienzo. On a l’impression que El Cachafaz se promène, salué par les tramways. On peut imag­in­er qu’il danse, d’ailleurs ce titre est tout à fait dans­able…

Paroles

Toutes les ver­sions que je vous pro­pose aujourd’hui sont instru­men­tales, mais les paroles nous sont très utiles pour cern­er le per­son­nage. Men­tion­nons tout de même que la musique a été écrite en 1912 et était des­tiné à l’acteur Flo­ren­cio Par­ravici­ni. Cepen­dant, les paroles de Ángel Vil­lol­do s’adressent bien au danseur.

El Cachafaz es un tipo
de vestir muy ele­gante
y en su pres­en­cia arro­gante
se desta­ca un gran señor.
El Cachafaz, donde quiera,
lo han de encon­trar muy tran­qui­lo
y si saca algún filo
se con­vierte en picaflor.

El Cachafaz, bien lo saben,
que es famoso bailarín
y anda en bus­ca de un fes­tín
para así, flo­re­arse más.
El Cachafaz cae a un baile
rece­lan los prometi­dos,
y tiem­blan los mari­dos
cuan­do cae el Cachafaz.

El Cachafaz, cuan­do cae a un bailecito
se larga; pero muy de para­da
y no respe­ta ni a casa­da;
y si es soltera, mejor.
Con mil prome­sas de ter­nu­ra
les ofer­ta, como todos, un mun­do de grandezas
y nadie sabe que la pieza no ha paga­do
y anda en bus­ca afligi­do, el acree­dor.

Manuel Aróstegui (Manuel Gre­go­rio Aroztegui) Letra: Ángel Vil­lol­do

Traduction libre et indications

Le Cachafaz est un type vêtu très élégam­ment et dans sa présence arro­gante se dis­tingue un grand seigneur.
Le Cachafaz, où qu’il soit, doit être trou­vé très calme et s’il trou­ve une ouver­ture (filo se dit chez les délin­quants pour par­ler d’une oppor­tu­nité), il devient un picaflor (col­ib­ri, ou plutôt homme allant butin­er de femme en femme).
Le Cachafaz, comme vous le savez bien, est un danseur célèbre et cherche un fes­tin afin de s’épanouir davan­tage.
Quand le Cachafaz débar­que (caer, tomber en espag­nol, est ici en lun­far­do et sig­ni­fie être présent dans un lieu) dans un bal, les fiancés sont méfi­ants et les maris trem­blent quand le Cachafaz arrive.
Le Cachafaz, lorsqu’il débar­que dans un petit bal, se lâche ; mais, il est très pré­ten­tieux (de nar­iz para­da, le nez redressé comme savent le faire les per­son­nes pré­ten­tieuses) et ne respecte ni les femmes mar­iées ni les céli­bataires, c’est mieux (il préfère les céli­bataires).
Avec mille promess­es de ten­dresse, il leur offre, comme tous, un monde de grandeur et per­son­ne ne sait que la cham­bre n’est pas payée et que va, affligé, à sa recherche, le créanci­er.

Et voici El Cachafaz

Main­tenant que j’ai dressé son por­trait à tra­vers les paroles, essayons de nous intéress­er au per­son­nage réel.
El Cachafaz (Ovidio José Bian­quet), Buenos Aires, 1885–02-14-Mar del Pla­ta, 1942-02-07.
El Cachafaz était grand, laid, grêlé de vérole, il avait un air mal­adif.

Sa danse

El Cachafaz a dan­sé dans une dizaine de films et notam­ment Tan­go (1933) et Car­naval de antaño (1940), extraits que je vais vous présen­ter ici.

C’est un extrait du film “Tan­go” (1933) de Luis Moglia Barth qui est le pre­mier film par­lant argentin. On y voit El Cachafaz (José Ovidio Bian­quet) danser avec Car­menci­ta Calderón, El Entr­erri­ano de Ansel­mo Rosendo Men­dizábal.

À ce moment, il est âgé de 48 ans et sa parte­naire Car­menci­ta Calderón 28 ans. Je donne cette pré­ci­sion, car cer­tains affir­ment que sa parte­naire n’a pas encore 20 ans. Il dansera avec elle dans deux autres films en 1939 “Giá­co­mo” et “Var­iedades”. Ce sera aus­si sa com­pagne de vie jusqu’à sa mort et à part une presta­tion avec Sofía Bozán, sa parte­naire de danse. Car­menci­ta Calderón est morte cen­te­naire, en 2005. Une preuve que le tan­go con­serve.

Voyons-le danser un peu plus tard, en 1940, avec Sofía Bozán

C’est un extrait du film “Car­naval de antaño” (1940) de Manuel Romero. C’est deux ans avant la mort de El Cachafaz. Il a 55 ans dans cette presta­tion.

On notera que le rôle prin­ci­pal est tenu par Flo­ren­cio Par­ravici­ni qui aurait été lé dédi­cataire en 1912 de la musique de Manuel Aróstegui. Les deux Cachafaz dans le même film.

Ses principales partenaires :

Eloise Gab­bi. Elle fit avec lui une tournée aux USA en 1911. En fait, c’est plutôt l’inverse si on cons­dère que El Cachafaz était désigné comme “an Argen­tine indi­an” (Un indi­en argentin). Il faut dire qu’il devait encore avoir à l’époque la stature faubouri­enne qu’il amélior­era, comme Bertrán, dans le tan­go Del bar­rio de las latas.

Emma Bóve­da, Elsa O’Con­nor puis Isabel San Miguel qui furent aus­si ses com­pagnes, jusqu’à ce qu’il ren­cotre Car­menci­ta Calderón (Car­men Micaela Ris­so de Can­cel­lieri) (1905–02-10 – 200510–31. Car­menci­ta danse avec lui dans Tan­go (1933), Giá­co­mo” (1939) et “Var­iedades (1939).
Sofía Bozán (Sofía Isabel Berg­ero) 1904-11-05 — 1958-07-09. Pour le film Car­naval de antaño, mais il reste avec Car­menci­ta, jusqu’à sa mort en 1942, Car­menci­ta qui lui sur­vivra 63 ans…

La pho­to dont je suis par­ti pour faire celle de cou­ver­ture de l’ar­ti­cle… El Cachafaz avec sa com­pagne, Car­menci­ta Calderón. C’est une pho­to posée et retouchée pour ce qui est du vis­age de El Cachafaz.

Voici ce qu’en dit Canaro (pages 79–81 de Mis memorias)

Mis memo­rias 1906–1956 – Fran­cis­co Canaro. Même si le livre est cen­trée sur Canaro, c’est une mine de ren­seigne­ments sur le tan­go de l’époque. C’est assez curieux qu’il soit si peu cité.

“Con­cur­ría: con suma fre­cuen­cia a los bailes del “Olimpo” un per­son­aje que ya goz­a­ba de cier­ta pop­u­lar­i­dad: Ben­i­to Bian­quet (“El Cachafaz”); a quien no se le cobra­ba la entra­da, porque era una ver­dadera atrac­ción; cuan­do él bail­a­ba la con­cur­ren­cia entu­si­as­ma­da le forma­ba rue­da y él se flo­re­a­ba a gus­to hacien­do der­roche en las fig­uras del típi­co tan­go de arra­bal.

Puede decirse, sin temor a hipér­bole, que “El Cachafaz” fué indis­cutible­mente el mejor y más com­ple­to bailarín de tan­go de su tiem­po. No tuvo mae­stro de baile; su propia intu­ición fué la mejor escuela de su esti­lo. Era per­fec­to en su porte, ele­gante y jus­to en sus movimien­tos, el de mejor com­pás; en una pal­abra, “El Cachafaz”, en el tan­go, fué lo que Car­l­i­tos Gardel coma can­tor: un creador; y ambos no han tenido suce­sores, sino imi­ta­dores, que no es lo mis­mo. “El Cachafaz” siem­pre iba acom­paña­do de su insep­a­ra­ble ami­go “El Paisan­i­to”, mucha­cho que tenía fama de guapo y que, para su defen­sa, usa­ba una daga de unos sesen­ta a seten­ta, cen­tímet­ros de largo; se la ponía deba­jo del bra­zo izquier­do calzán­dola por entre la aber­tu­ra del chale­co, y la pun­ta daba más aba­jo del cin­turón rozán­dole la pier­na. Para sacar­la lo hacía en tres tiem­pos y con gran rapi­dez cuan­do las cir­cun­stan­cias lo exigían. No obstante, “El Paisan­i­to” era un buen mucha­cho y un leal ami­go. […]

Pre­cisa­mente, recuer­do que una noche hal­lán­dose en una mesa “El Cachafaz” con “El Paisan­i­to” y otros ami­gos, apare­ció otro famoso Bailarín de tan­go, “El Ren­go Coton­go”, guapo el hom­bre y según decían de averías y de mal vivir; lo acom­paña­ban otros suje­tos de pin­ta no muy recomend­able, quienes se ubi­caron en una mesa próx­i­ma a la de “El Cachafaz”. “El Ren­go Coton­go” traía tam­bién su com­pañera de baile. Empezaron a beber en ambas mesas, y entre baile y baile lan­z­a­ban indi­rec­tas alu­si­vas a “El Cachafaz”, y se orig­inó un desafió. Querían dilu­ci­dar y dejar sen­ta­do cuál de los dos era mejor bailarín de tan­go. Se con­cretó la apues­ta y el primera en salir a bailar fué “El Ren­go Coton­go”, quien pidió que tocasen “El Entr­erri­ano”. El apo­do le venía porque rengue­a­ba de una pier­na al andar, pero ello no fué obstácu­lo para lle­gar a con­quis­tar car­tel de buen bailarín, pues en real­i­dad bai­lan­do no se le nota­ba la renguera, al igual que a los tar­ta­mu­dos, que can­tan­do dejan de ser­lo. sal­ió el famoso “Ren­go” hacien­da fil­igranas, acla­ma­do por la bar­ra que lo acom­paña­ba y por los con­ter­tulios que sim­pa­ti­z­a­ban con él, y ter­miné la pieza entre grandes aplau­sos. Y le tocó a “El Cachafaz”, quien pidió que tomasen El Choclo. Sal­ió con su gar­bo varonil y con su pos­tu­ra ele­gante hacien­do con los pies tan mar­avil­losas “fior­it­uras” que sólo falta­ba que pusiera su nom­bre; pero dibu­jó sus ini­ciales entre atron­adores aplau­sos y «¡vivas!” a “El Cachafaz”. Al verse “El Ren­go” y sus comp­inch­es desaira­dos en su desafió, ahí nomas empezaron a menudear los tiros y se armó la de San Quin­tín. En media del barul­lo nosotros no sen­tíamos más que “¡pim-paf, pum!” … y las balas pega­ban en la cha­pa de hier­ro que cubría la baran­da del pal­co donde nosotros tocábamos, vién­donos oblig­a­dos a echar cuer­po a tier­ra has­ta que amainó el escán­da­lo con la pres­en­cia de la policía, que arreó con todo el mun­do a la comis­aria. Y el salón quedó clausura­do por largo tiem­po.”

Fran­cis­co Canaro — Mis memo­rias 1906–1956

Traduction libre du texte de Canaro

Très fréquem­ment aux bals de l’ ”Olimpo” se trou­vait un per­son­nage qui jouis­sait déjà d’une cer­taine pop­u­lar­ité : Ben­i­to Bian­quet (« El Cachafaz ») ; qui ne payait pas l’entrée, parce que c’é­tait une véri­ta­ble attrac­tion ; Quand il dan­sait, la foule ent­hou­si­aste for­mait un cer­cle et il s’é­panouis­sait à l’aise, se répan­dant dans les fig­ures du tan­go typ­ique des faubourgs.

On peut dire, sans crainte de l’hy­per­bole, que « El Cachafaz » était incon­testable­ment le meilleur et le plus com­plet danseur de tan­go de son temps. Il n’avait pas de pro­fesseur de danse ; Sa pro­pre intu­ition fut la meilleure école de son style. Il était par­fait dans son main­tien, élé­gant et juste dans ses mou­ve­ments, le meilleur com­pás; en un mot, « El Cachafaz », en tan­go, était ce que Car­l­i­tos Gardel est comme chanteur : un créa­teur ; Et les deux n’ont pas eu de suc­cesseurs, mais des imi­ta­teurs, ce qui n’est pas la même chose. « El Cachafaz » était tou­jours accom­pa­g­né de son insé­para­ble ami « El Paisan­i­to », un garçon qui avait la répu­ta­tion d’être beau et qui, pour sa défense, util­i­sait un poignard d’en­v­i­ron soix­ante à soix­ante-dix cen­timètres de long ; Il le plaçait sous son bras gauche, l’in­sérant dans l’ou­ver­ture du gilet, et la pointe était au-dessous de la cein­ture et lui effleu­rait la jambe. Pour le sor­tir, il le fai­sait en trois temps et avec une grande rapid­ité lorsque les cir­con­stances l’ex­igeaient. Néan­moins, « El Paisan­i­to » était un bon garçon et un ami fidèle. […]

Pré­cisé­ment, je me sou­viens qu’un soir où « El Cachafaz » était à une table avec « El Paisan­i­to » et d’autres amis, un autre danseur de tan­go célèbre est apparu, « El Ren­go Coton­go », bel homme et, comme on dis­ait, de dépres­sions et de mau­vaise vie ; il était accom­pa­g­né d’autres sujets d’ap­parence peu recom­mand­able, qui étaient assis à une table près de celle d’El Cachafaz. El Ren­go Coton­go” a égale­ment amené sa parte­naire de danse. Ils com­mencèrent à boire aux deux tables, et entre les dans­es, ils lançaient des allu­sions à « El Cachafaz », et un défi s’en­suiv­it. Ils voulaient élu­cider et établir lequel des deux était le meilleur danseur de tan­go. Le pari a été fait et le pre­mier à aller danser a été « El Ren­go Coton­go », qui nous a demandé de jouer « El Entr­erri­ano ». Le surnom lui venait du fait qu’il boitait d’une jambe lorsqu’il mar­chait, mais ce n’é­tait pas un obsta­cle pour con­quérir l’af­fiche d’un bon danseur, car en réal­ité en dansant, ce n’é­tait pas per­cep­ti­ble, ain­si que les bègues, qui en chan­tant cessent de l’être. Le fameux « Ren­go » est sor­ti, en exé­cu­tant des fil­igranes, acclamé par la bande qui l’ac­com­pa­g­nait et par les par­tic­i­pants qui sym­pa­thi­saient avec lui, et j’ai ter­miné la pièce au milieu de grands applaud­isse­ments. Et ce fut au tour d’ “El Cachafaz », qui nous a demandé de pren­dre El Choclo. Il entra avec sa grâce vir­ile et son atti­tude élé­gante, faisant de si mer­veilleuses « fior­it­uras » avec ses pieds qu’il ne lui restait plus qu’à met­tre son nom ; mais il a dess­iné ses ini­tiales au milieu d’un ton­nerre d’ap­plaud­isse­ments et de « vivas ! » à « El Cachafaz ». A con­trario, « El Ren­go » et ses acolytes ont été snobés dans leur défi, aus­si, sans façon, les coups de feu ont com­mencé à être tirés et la de San Quin­tín a été mise en place (cela sig­ni­fie un scan­dale ou une très grande bagarre, en référence à la bataille de San Quentin qui a eu lieu à l’époque de Philippe II (XVIe siè­cle) entre l’Es­pagne et la France, autour du roy­aume de Naples. Au milieu du brouha­ha, nous n’avons rien ressen­ti d’autre que « pim-paf, bam ! » et les balles se logeaient dans la plaque de fer qui cou­vrait la balustrade de la loge où nous jouions, et nous avons été for­cés de nous jeter à terre jusqu’à ce que le scan­dale s’éteigne avec la présence de la police, qui a rassem­blé tout le monde au com­mis­sari­at. Et le salon a été fer­mé pen­dant longtemps.

El Cachafaz évoqué par Miguel Eusebio Bucino

Le tan­go Bailarín com­padri­to de Miguel Euse­bio Buci­no par­le juste­ment de El Cachafaz.

Vesti­do como dandy, peina’o a la gom­i­na
Y dueño de una mina más lin­da que una flor
Bailás en la milon­ga con aire de impor­tan­cia
Lucien­do la ele­gan­cia y hacien­do exhibi­ción
Cualquiera iba a decirte, ¡che!, reo de otros días
Que un día lle­garías a rey de cabaret
Que pa’ enseñar tus cortes pon­drías acad­e­mia
Al tau­ra siem­pre pre­mia la suerte, que es mujer
Bailarín com­padri­to
Que flo­re­aste tus cortes primero
En el viejo bai­lon­go orillero
De Bar­ra­cas, al sur
Bailarín com­padri­to
Que querías pro­bar otra vida
Y al lucir tu famosa cor­ri­da
Te vin­iste al Maipú
Ara­ca, cuan­do a veces oís “La Cumpar­si­ta“
Yo sé cómo pal­pi­ta tu cuore al recor­dar
Que un día lo bailaste de lengue y sin un man­go
Y aho­ra el mis­mo tan­go bailás hecho un bacán
Pero algo vos darías por ser por un rati­to
El mis­mo com­padri­to del tiem­po que se fue
Pues cansa tan­ta glo­ria y un poco triste y viejo
Te ves en el espe­jo del loco cabaret
Bailarín com­padri­to
Que querías pro­bar otra vida
Y al lucir tu famosa cor­ri­da
Te vin­iste al Maipú
Miguel Euse­bio Buci­no

Miguel Euse­bio Buci­no

Traduction libre de Bailarín compadrito

Habil­lé en dandy, les cheveux peignés et pro­prié­taire d’une fille plus belle qu’une fleur, vous dansez dans la milon­ga avec un air d’importance, faisant éta­lage d’élégance et faisant une exhi­bi­tion n’importe qui allait vous dire, che ! pris­on­nier d’un autre temps, qu’un jour vous devien­driez roi du cabaret que pour enseign­er tes cortes tu fer­ras académie au tau­ra sourit tou­jours la chance, qui est une femme.
Danseur voy­ou qui a fait fleurir tes pre­miers cortes dans l’ancien bal à la périphérie de Bar­ra­cas, au sud.
Danseur voy­ou qui voulait essay­er une autre vie et qui, quand tu as mon­tré ta fameuse cor­ri­da, tu es venu au Maipú.
Mon vieux (gar­di­en), quand tu entends par­fois « La Cumpar­si­ta », je sais com­ment ton cœur bat quand tu te sou­viens qu’un jour tu l’as dan­sé avec un foulard (on le voit dans le film Tan­go de 1933) et sans un sou et main­tenant le même tan­go fait de toi un bacán (un for­tuné).
Mais tu don­nerais quelque chose pour être pen­dant un petit moment le même voy­ou de l’époque qui s’en est allé, parce que tant de gloire est fati­gante et que vous vous voyez dans le miroir du cabaret fou.
Danseur voy­ou, qui voulait essay­er une autre vie et qui en mon­trant sa fameuse cor­ri­da, tu es venu au Maipú.
On voit que ces paroles cor­re­spon­dent à celles de Vil­lo­do, ce qui me per­met de valid­er le fait que ce tan­go est bien adressé à El Cachafaz, du moins dans ses paroles.

Autres versions

Toutes les ver­sions sont instru­men­tales. L’écoute ne per­met prob­a­ble­ment pas de dis­tinguer les ver­sions qui étaient plutôt des­tinées à l’acteur et celles des­tinées au danseur. On note toute­fois, que la plu­part ne sont pas géniales pour la danse. Est-ce une façon de les départager ? Je suis partagé sur la ques­tion.

El Cachafaz 1912 — Cuar­te­to Juan Maglio “Pacho”.

Cet enreg­istrement Antique com­mence avec le cor­net du tran­via et qui résonne à dif­férentes repris­es, arrê­tant le bal. Des paus­es, un peu comme les breaks que D’Arienzo met­tra en place bien plus tard dans ses inter­pré­ta­tions.

El Cachafaz 1937-06-02 — Orques­ta Juan D’Arien­zo.

La musique com­mence par le cor­net du tran­via (tramway). Le piano de Bia­gi, prend tous les inter­valles libres, mais le ban­donéon et les vio­lons ne méri­tent pas. C’est du très bon D’Arienzo. On a l’impression que El Cachafaz se promène, salué par les tramways. On peut imag­in­er qu’il danse, d’ailleurs ce titre est tout à fait dans­able…

El Cachafaz 1950-12-27 — Ricar­do Pedev­il­la y su Orques­ta Típi­ca.

Pass­er après D’Arienzo, n’est pas évi­dent. Un petit coup de Cor­net pour débuter et ensuite de jolis pas­sages, mais à mon avis pas avec le même intérêt pour le danseur que la ver­sion de D’Arienzo. Cepen­dant, cette ver­sion reste tout à fait dans­able et si elle ne va prob­a­ble­ment pas soulever des ent­hou­si­asme déli­rants, elle ne devrait pas sus­citer de tol­lé mémorables et se ter­min­er à la de San Quin­tín.

El Cachafaz 1953-05-22 — Orques­ta Eduar­do Del Piano.

Le Cor­net ini­tial est peu recon­naiss­able. Le tan­go est tout à fait dif­férent. Il a des accents un peu som­bres. Del Piano est dans une recherche musi­cale qui l’a éloigné de la danse. Un comble si le tan­go est lié à un danseur si célèbre.

El Cachafaz 1954-01-26 — Orques­ta Car­los Di Sar­li.

Di Sar­li rétabli le cor­net ini­tial, mais son inter­pré­ta­tion est assez décousue. Pour le danseur il est dif­fi­cile de prévoir ce qui va se pass­er. Sans doute un essai de renou­velle­ment de la part de Di Sar­li, mais je ne suis pas tant con­va­in­cu que les danseurs trou­vent le ter­rain calme et favor­able à l’improvisation auquel Di Sar­li les a habitué. Pour moi, c’est un des rares Di Sar­li de cette époque que je ne passerai pas.

El Cachafaz 1958 — Los Mucha­chos De Antes.

On retrou­ve avec cette ver­sion, la flûte qui fait le cor­net du tran­via. L’association gui­tare, flute, donne un résul­tat très léger et agréable. La gui­tare, mar­que bien la cadence et les danseurs pour­ront aller en sécu­rité avec cette ver­sion qui oscille entre la milon­ga et le tan­go. Les mucha­chos ont recréé une ambiance début de siè­cle très con­va­in­cante. Ils méri­tent leur nom.

Voilà les amis, c’est tout pour aujourd’hui. Je vous souhaite de danser comme El Cachafaz et Car­menci­ta.

El entrerriano 1944-04-26 — Orquesta Osvaldo Fresedo

Anselmo Rosendo Mendizábal Letra : Ernesto Temes (Julián Porteño), Homero Expósito, H. Semino, S. Retondaro, Vicente Planells del Campo y Oscar Amor, Ángel Villoldo.

Voici une chose bien curieuse que ce tan­go qui ne dis­pose pas d’enregistrement de ver­sion chan­tée intéres­sante dis­pose de tant de paroles. Pas moins de cinq ver­sions… Quoi qu’il en soit, ce tan­go écrit en 1897 par Rosendo Men­dizábal est fameux, et il fut le pre­mier à avoir une par­ti­tion…

Un tango célèbre

Ce tan­go est fameux. C’est pour cela, prob­a­ble­ment qu’il dis­pose de plusieurs paroles, ces dernières étant util­isées pour flat­ter un com­man­di­taire poten­tiel.
J’ai racon­té dans Sacale pun­ta com­ment Rosendo l’a dédi­cacé à Ricar­do Segovia et a gag­né ain­si 100 pesos… Il venait de le jouer à de mul­ti­ples repris­es à la demande du pub­lic en Lo de María la Vas­ca, dont il était le pianiste attitré.
Comme preuve de notoriété, out­re l’abondance de paroliers, je pour­rais men­tion­ner qu’il est chan­té par Gardel dans Tan­go argenti­no 1929-12-11.

«De tus buenos tiem­pos aún hay pal­pi­tan
El choclo, Pelele’, El tai­ta, El cabu­re
La morocha, El catre y La cumpar­si­ta
Aquel Entr­erri­ano y el Saba­do ingles»

La dernière preuve est le nom­bre incroy­able de ver­sions de ce titre. Les 100 pesos de Ricar­do Segovia furent un bon investisse­ment.

Extrait musical

El entr­erri­ano 1944-04-26 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

On com­prend l’enthousiasme des pre­miers audi­teurs de El entr­erri­ano qui ne s’appelait pas ain­si quand il fut joué pour la pre­mière fois en Lo de María la Vas­ca. À l’époque Rosendo l’avait joué au piano et sans doute émulé par la bonne récep­tion par les par­tic­i­pants s’était peut-être lancé dans quelque chose un peu plus jouer et spon­tané que les ver­sions de l’époque. Ce qui est sûr, c’est que Frese­do a su sor­tir de sa zone de con­fort pour nous éblouir avec cette ver­sion joyeuse.

Les paroles

J’ai men­tion­né cinq ver­sions. Je n’en ai retrou­vé que qua­tre, celle de Ángel Vil­lol­do sem­ble per­due.
Les qua­tre restantes sont du même type, elle racon­te la gloire, la glo­ri­ole d’un type. Rien de bien intéres­sant et orig­i­nal. Je vous les cite donc par ordre chronologique et ne traduirai que la plus récente, celle de Home­ro Expósi­to.

Letra de Ángel Villoldo

Ángel Vil­lol­do a dédié une ver­sion à Pepi­ta Avel­lane­da. Pour cela il a écrit des paroles qui sem­blent per­dues pour le moment.
Atten­tion à ne pas con­fon­dre la chanteuse Pepi­ta Avel­lane­da et Pepi­to Avel­lane­da, pseu­do­nyme du danseur José Domin­go Mon­teleone. Ce dernier a pris ce surnom, car il était né à Avel­lane­da. Pepi­to, je ne sais pas pourquoi il l’a choisi quand il fut obligé de pren­dre un pseu­do­nyme pour atténuer son orig­ine ital­i­enne afin de faciliter ses tournées européennes et le fait qu’il était d’une famille de piz­zaio­los de province (Avel­lane­da).
D’ailleurs Pepi­ta Avel­lane­da était égale­ment un pseu­do­nyme, la chanteuse, qui était aus­si danseuse s’appelait en fait Jose­fa Calat­ti… C’est elle qui avait étren­né El esquina­zo de Vil­lol­do, avec des paroles égale­ment dis­parues…
Vil­lol­do a cepen­dant écrit les paroles d’un autre tan­go qu’il a égale­ment com­posé : Desafío de un entr­erri­ano (défi d’un entr­erri­ano).
Il se peut qu’une par­tie des paroles soit proche de celles de la ver­sion per­due, à la dif­férence qu’il s’agissait d’une femme, prob­a­ble­ment uruguayenne dans le pre­mier cas, mais à l’époque, l’Uruguay et Entre Rios sont très proche et la fron­tière de la Province de l’Est per­méable.
On remar­quera qu’elles sont de la même eau que celles des­tinées à El enter­ri­ano, ce qui con­firme la des­ti­na­tion de ces paroles, la flat­terie, voire la flagorner­ie…
On ne con­naît pas la data­tion pré­cise de l’écriture de ce tan­go, mais comme il a été pub­lié en 1907 dans Caras y Careteras, il est au plus tard de cette époque, soit tout au plus, cinq ans après la ver­sion per­due. Il ne sem­ble pas exis­ter d’enregistrement de ce tan­go. Voici donc les paroles de Desafío de un entr­erri­ano :

Ángel Vil­lol­doDesafío de un entr­erri­ano 
Aquí viene el entr­erri­ano
El criol­lo más respeta­do,
Por una milon­ga, un esti­lo,
O un tan­gui­to reque­bra­do.
En cuan­to yo me pre­sen­to
No hay quién se atre­va a ron­car,
Al cohete son los can­di­ales…
Me tienen que respetar.

¿Vamos a ver quién se atreve?
¿No hay ninguno que ya ladré?
¿Dónde está ese mozo pier­na
que la ech­a­ba de com­padre?
Vayan salien­do al momen­to
Ya que lle­ga la ocasión,
Que eso es lo que a mí me gus­ta
Pa´ dar­les un revol­cón.

¿Quién le ron­ca al entr­erri­ano?
¿No hay quién cope la para­da?,
Vamos a ver, pues, los taitas
Aprovechen la bola­da.
Miren que ocasión como esta
No se les va a pre­sen­tar…
¿De ande yer­ba?… Tienen miedo
Que los vaya a abatatar.

Ya veo que no hay ninguno
Que resuelle por la heri­da,
Y me gano la car­rera
Mucho antes de la par­ti­da.
Aquí con­cluyo y salu­do
Con car­iño fra­ter­nal,
A todos los con­cur­rentes
Y al pabel­lón nacional…


Letra de A. Semi­no y S. Reton­daro
Tú el entr­erri­ano un criol­la­zo
De nobleza e hidal­guía
Que cap­tó la sim­patía
De todo el que lo trató.
Porque siem­pre demostró
Ser hom­bre sin­cero y fiel
Y como macho de Ley
La muchacha­da lo apre­ció.

Como varón se com­portó
Su pecho noble supo expon­er
Para el débil defend­er
Y así librar­lo del mal
Pero una noche som­bría.
Que fue, ¡ay !, su desven­tu­ra
En su alma la amar­gu­ra
Echó su man­to fatal
Por haber sido tan leal
Hal­ló su cru­el perdi­ción …!
El entr­erri­ano lloró
Su triste desilusión.

Una noche en un calle­jón
Al ami­go más fiel vio caer,
Bajo el puñal de un matón
Que de traición lo hir­ió cru­el
Y vibran­do de indi­gnación
El criol­la­zo atro­pel­ló
Y en la faz del matón
Un bar­bi­jo mar­có.

Y al cor­rer de los años
Lib­er­tao ’e las cade­nas
Con el peso de su pena,
Pa’l viejo bar­rio volvió
Y amar­ga­do lagrimeó
Al hal­larse sin abri­go
Y has­ta aquél… el más ami­go,
El amparo le negó.


Letra de Vicente Planells del Cam­po y Oscar Amor
Mi apo­do es
El Entr­erri­ano y soy
de aque­l­los tiem­pos hero­icos de ayer,
el de los patios del farol y el par­ral,
con per­fume a madre­sel­va y clav­el.
Soy aquel tan­go que no tuvo rival
en las bron­cas y entreveros.
Pero fui sen­ti­men­tal
jun­to al calor
del vesti­do de per­cal.

Soy aquel que no aflo­jó jamás,
el que luchó con su val­or
por man­ten­er este com­pás
y con él
me sen­tí muy feliz
al poder tri­un­far con mi val­or
lejos de aquí, allá en París.
Y después
de recor­rer tri­un­fal,
la vuelta pegué para volver
jun­to al calor de mi arra­bal
y hoy al ver
que soy retru­co y flor
quiero agrade­cer este favor
al bailarín como al can­tor.

Entr­erri­ano soy
de pura cepa y no hay
a pesar de ser tan viejo, varón
ni quien me pise los talones pues soy
el com­pás de meta y pon­ga y fui
de la que­bra­da y el corte el rey
en lo de Hansen y el Tam­bito.
Y en las tren­zadas de amor
primero yo
por bohemio y picaflor.


Letra de Julián Porteño
En el bar­rio de San Tel­mo
yo soy
picaflor afor­tu­nao en amor
un pun­to bra­vo pa’l chamuyo flo­re­ao
buen ami­go en cualquier ocasión
caudil­lo firme de juga­do val­or
pa’ copar una para­da
y afir­mar mi bien proba­da
leal­tad con el doc­tor.

Calá este varón
cuan­do con un gesto
man­do en el resto
pa’ ganar una elec­ción.
Calá este varón
en bai­lon­gos bien mis­ton­gos
con­qui­s­tan­do un fiel corazón.
Calá este varón
en salones dis­tin­gui­dos
todo pre­sum­i­do
de “doc­tor”.
Calá este varón
mozo atre­v­i­do
siem­pre can­to flor, envi­do
en el amor.

Naipe y mujeres
son mi úni­ca pasión,
sí señor,
éstas me dicen que sí
aquél me dice que no.
Pero no le hace
mel­la a mi condi­ción
de varón,
soy entr­erri­ano, señor
y ten­go firme el corazón.


Letra de Home­ro Expósi­to
Sabrán que soy el Entr­erri­ano,
que soy
milonguero y provin­ciano,
que soy tam­bién
un poquito com­padri­to
y aguan­to el tren
de los gua­pos con taji­tos.
Y en el vaivén
de algún tan­go de fan­dan­go,
como el quer­er
voy metién­dome has­ta el man­go,
que pa’l baile y pa’l amor
sabrán que soy
siem­pre el mejor.

¿Ven, no ven lo que es bailar así,
lleván­dola jun­ti­to a mí
como apre­tan­do el corazón?…
¿Ven, no ven lo que es lle­varse bien
en las cor­tadas del quer­er
y en la milon­ga del amor?…

Todo corazón para el amor
me dio la vida
y algu­na heri­da
de vez en vez,
para saber lo peor.
Todo corazón para bailar
hacien­do cortes
y al Sur y al Norte
sulen gri­tar
que el Entr­erri­ano es el gotán.

Traduction libre de la version de Homero Expósito

Ils sauront que je suis l’Entrerriano, (celui de la Povince d’Entre Rios) que je suis un milonguero et un provin­cial, que je suis aus­si un peu com­padri­to et je tiens la dégaine du guapo (beau) avec des cica­tri­ces (taji­to, petites entailles).
Et dans le bal­ance­ment d’un tan­go fan­dan­go, (Un siè­cle avant le tan­go, le fan­dan­go a fait scan­dale, car jugé las­cif. Avec le tan­go, l’histoire se répète… N’oublions pas que ce tan­go s’est inau­guré dans une mai­son de plaisir…)

avec volon­té je me lance à fond, afin qu’ils sachent que pour la danse et pour l’amour je suis tou­jours le meilleur.
Vois-tu, ne vois-tu pas ce que c’est que de danser comme cela, de l’amener à moi comme pour écras­er le cœur ?…
Voyez, ne voyez pas ce qu’est de s’entendre bien dans les cor­tadas du désir et dans la milon­ga de l’amour ?…
Tout cœur pour l’amour m’a don­né la vie et une blessure de temps en temps, pour con­naître le pire.
Tout le cœur pour danser en faisant des cortes (fig­ure de tan­go) et au Sud et au Nord, ils vont crier que l’Entrerriano est le gotan (tan­go en ver­lan, mais vous le saviez…).

Les versions

El entr­erri­ano 1910-03-05 Estu­di­anti­na Cen­te­nario dir. Vicente Abad
El entr­erri­ano 1913 — Eduar­do Aro­las y su Orques­ta Típi­ca.

Une ver­sion par le tigre du ban­donéon. Il existe peu d’enregistrements de Aro­las, sans doute, moins de 20 et tous de la péri­ode de l’enregistrement acous­tique. Ils ne ren­dent sans doute pas jus­tice aux presta­tions réelles de cet artiste du ban­donéon et de son orchestre.

El entr­erri­ano 1914 — Quin­te­to Criol­lo Tano Genaro.
El entr­erri­ano 1917 Orques­ta Rober­to Fir­po. Avec les moyens et le style de l’époque.
El entr­erri­ano 1927-02-24 — Orques­ta Fran­cis­co Canaro.

Une ver­sion calme et tran­quille à la Canaro des années 20, mais avec de beaux pas­sages guidés par le piano comme après 50 s.

El entr­erri­ano 1927-03-20 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Une ver­sion avec des bruits étranges, on entend les ani­maux de la ferme (notam­ment à par­tir de 30 s). Le dédi­cataire est en effet un riche pro­prié­taire ter­rien et j’imagine que Frese­do s’est amusé à ce petit jeu de recréer une basse-cour avec son orchestre.

El entr­erri­ano 1937-03-29 ou 1940-08-29 — Rober­to Fir­po y su Cuar­te­to Típi­co.

Une ver­sion à toute vitesse. Avec man­do­line. Je ne sais pas si elle était des­tinée à la danse. J’ai plutôt l’impression que c’était une démon­stra­tion de vir­tu­osité.

El entr­erri­ano 1940-11-06 — Orques­ta Radio Vic­tor Argenti­na.

On dirait que Fir­po a passé le virus à Scor­ti­cati qui dirigeait la Vic­tor à cette époque. On peut imag­in­er sa joie de faire raison­ner le « Pin-Pon-Pin » du ban­donéon comme une ponc­tu­a­tion tout au long de l’interprétation. On sent que l’orchestre, y com­pris la trompette, s’amuse et nous, DJ ou danseurs, avec.

El entr­erri­ano 1944-04-26 — Orques­ta Osval­do Frese­do. C’est notre tan­go du jour.

On dirait que Fir­po et Scor­ti­cati ont passé le virus à Frese­do qui pro­duit à son tour une ver­sion très rapi­de. Il fal­lait sans doute ces deux con­t­a­m­i­na­tions pour l’inciter à pro­duire cette ver­sion tonique et rapi­de. Le ban­donéon fait encore un « Pin-Pon-Pin » encore plus con­va­in­cant. Cepen­dant, adieu veaux, vach­es, cou­vées par rap­port à la ver­sion précé­dente de 1927. Chaque instru­ment a son tour de gloire et le résul­tat est prenant, jusqu’au clas­sique dou­ble accord final de Frese­do. C’est notre tan­go du jour.

J’ai passé sous silence les ver­sions de 1941 de Troi­lo (c’était l’époque où il avait des enreg­istrements pour­ris, car les maisons de dis­ques ne voulaient pas con­cur­rencer leurs poulains) et celle de Bia­gi, qui est du Bia­gi comme il y en a tant. Du bon Bia­gi, mais que du Bia­gi, sans valeur ajoutée au titre lui-même.

El entr­erri­ano 1944-06-27 — Orques­ta Aníbal Troi­lo.

Pas la ver­sion de 1941 qui était une ver­sion plutôt rapi­de, mais celle de 1944, bien mieux enreg­istrée. On voit que l’ambiance est bien dif­férente de tout ce qui s’est fait avant, plus grave, calme, musi­cale, moins dans la sur­prise. On remar­quera les pleurs du ban­donéon à 2 : 46, le mer­veilleux jeu de Troi­lo. Une ver­sion pour une danse bien dif­férente, Troi­lo com­mence à mon­tr­er le bout de son nez nova­teur.

El entr­erri­ano 1954-04-29 — Orques­ta Juan D’Arienzo.

Du bon D’Arienzo qui cogne, tout en restant joueur. De quoi réveiller l’ambiance d’une milon­ga qui som­nole (il paraît que ça existe), mais cer­tains des titres précé­dents sont égale­ment effi­caces pour cet usage…

El entr­erri­ano 1979-10-31 — Orques­ta Osval­do Frese­do.

Frese­do a encore enreg­istré le titre en 1979. Hon­nête­ment, cet enreg­istrement n’a rien d’exceptionnel et je vous pro­pose de boule­vers­er la chronolo­gie pour ter­min­er cette anec­dote avec une ver­sion éton­nante, par Varela…

El entr­erri­ano 1957-03-29 — Orques­ta Héc­tor Varela.

C’est le dernier titre que je vous pro­pose aujourd’hui. Il débute avec le « Pin-Pon-Pin », mais très solen­nel, suivi d’une cita­tion des paroles de Tiem­pos viejos (Fran­cis­co Canaro Letra: Manuel Romero) « ¿Te acordás, her­mano, qué tiem­pos aque­l­los? » puis « Oí si » et une phrase de Mi noche triste (Samuel Cas­tri­o­ta Letra: Pas­cual Con­tur­si) « me dan ganas de llo­rar ».

Voilà, je ter­mine avec cela. Quel par­cours effec­tué depuis 1897 par ce tan­go excep­tion­nel !

À demain les amis !

Sacale punta 1938-03-09 (Milonga tangueada) — Orquesta Edgardo Donato con Horacio Lagos y Randona (Armando Julio Piovani)

Osvaldo Donato Letra Sandalio Gómez

Cette milon­ga du jour a été enreg­istrée le 9 mars 1939, il y a 85 ans. Elle a été enreg­istrée par Dona­to et est tou­jours un suc­cès dans les milon­gas. Cepen­dant, son titre prête à inter­pré­ta­tions et je choi­sis ce pré­texte pour vous faire entr­er dans le monde du tan­go du début du 20e siè­cle.

Edgar­do Dona­to inter­prète ici une milon­ga écrite par son frère, pianiste, Osval­do. Deux chanteurs inter­vi­en­nent, Hora­cio Lagos et Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani). Ils ne chantent que deux cou­plets, comme il est d’usage pour le tan­go de danse.

Le disque

Sacale pun­ta est la face B et la valse Que sera ?, la face A du disque Vic­tor 38397.

Sur l’étiquette on trou­ve plusieurs men­tions. Le nom de l’orchestre, Edgar­do Dona­to y sus Mucha­chos et le nom d’un des chanteurs de l’estribillo, Hora­cio Lagos. Ran­dona n’est pas men­tion­né.
On trou­ve le nom des auteurs et com­pos­i­teurs. L’auteur des paroles est en pre­mier. Pour la valse, il n’y a qu’un nom, car Pepe Guízar est l’auteur de la musique et des paroles. Vous pour­rez écouter cette valse en fin d’article.
Sur le disque, on peut remar­quer sur l’étiquette l’encadré suiv­ant…

Exé­cu­tion publique et radio-trans­mis­sion réservées à RCA Vic­tor Argenti­na INC. Ce disque n’est donc pas autorisé pour être joué en milon­ga 😉

Extrait musical

Sacale pun­ta 1938-03-09 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos y Ran­dona (Arman­do Julio Pio­vani)

Les paroles

Sacale pun­ta a esta milon­ga
Que ya empezó.
Sen­tí que esos fueyes que rezon­gan
De corazón.
Y las pebe­tas se han venido
De « true Vuit­ton ». (De tru­co y flor)
El tan­go requiebra la vida (El tan­go es rey que da la vida)
Y en su nota despar­ra­ma,
Su amor.

Tan­go lin­do de arra­bal
Que yo,
No lo he vis­to des­ma­yar
¡ Tri­un­fó!.
Tan­go lin­do que al can­tar
Vol­có,
Su fe, su amor
Varón tenés que ser.

Nada hay que hac­er cuan­do rezon­gan
El ban­doneón
Ore­ja a ore­ja las pare­jas
Bailan al son,
De un tan­go lleno de recuer­dos
Que no cayó.
Si des­de los tiem­pos de Lau­ra
Se ha sen­ti­do primera agua
y bril­ló.

Osval­do Dona­to Letra San­dalio Gómez. Seuls les deux pre­miers cou­plets sont chan­tés dans cette ver­sion.

Pourquoi un crayon à la milonga ?

Les paroles de cette chan­son par­lent donc de la milon­ga, du point de vue de l’homme qui se pré­pare à danser joue con­tre joue (oreille con­tre oreille) avec des jeunes femmes.
« Saca pun­ta » se dit pour tailler les crayons, faire sor­tir, la pointe, la mine. Cela se dit couram­ment dans les écoles.

Sacale pun­ta. J’ai représen­té le cray­on bien tail­lé sur cette image, mais ce n’est qu’une petite par­tie de l’énigme.

Ici, San­dalio a écrit « Sacale pun­ta a esta milon­ga », sors-lui la pointe à cette milon­ga…
Pour ceux qui pour­raient s’interroger, sur l’intérêt d’apporter un cray­on à la milon­ga. Une petite inves­ti­ga­tion qui je l’espère ne sera pas trop déce­vante :

Les autres textes de Sandalio Gómez

Si on cherche une piste dans les autres textes écrits par San­dalio Gómez on trou­ve :
Deux tan­gos : « Cum­br­era » et « El mun­do está loco ». Le pre­mier est un hom­mage à Car­los Gardel et le sec­ond s’inscrit dans la tra­di­tion de « Cam­bal­ache » ou de « Al mun­do le fal­ta un tornil­lo », ces tan­gos qui par­lent de la dégénéres­cence du Monde.
Deux milon­gas : « De pun­ta a pun­ta » et « Mis pier­nas » qui est une milon­ga qui incite à se repos­er, car les paroles com­men­cent ain­si : « Sen­tate, cuer­po sen­tate, que las pier­nas no te dan más » assois-toi corps, car les jambes n’en peu­vent plus.
Un paso doble : « Embru­jo » par­le d’un « envoute­ment » amoureux.
Du grand clas­sique et si ce n’était ce « Sacale pun­ta », les paroles ne prêteraient pas à inter­pré­ta­tion. On n’est pas en présence de textes de Vil­lol­do qu’il a sou­vent fal­lu remanier pour respecter les bonnes mœurs.

D’autres musiques utilisant « Sacale punta »

Il y a d’autres musiques qui utilisent l’expression « Sacale pun­ta ». Par exem­ple, la milon­ga écrite par José Bas­so : « Sacale pun­ta al lápiz » 1955-09-16 écrite par José Bas­so, mais qui n’a pas de paroles.

Sacale pun­ta al lápiz 1955-09-16 — José Bas­so (Musique José Bas­so)

Si on reste en Argen­tine, on trou­ve plus récem­ment l’expression dans des textes de cumbias. Les cumbias ont sou­vent des textes scabreux, c’est le cas de celle qui s’appelle comme la milon­ga de Bas­so et qui est inter­prétée par Neni y su ban­da. Mon blog se voulant de haute tenue, je ne vous don­nerai pas les paroles, mais sachez que le pos­sesseur du lápiz (cray­on) se vante de pou­voir en faire quelque chose au lit.
Le groupe cubain Vie­ja Tro­va San­ti­a­guera chante égale­ment « Sacale pun­ta al lápiz ». Ce son est avec des paroles rel­a­tive­ment explicites, la muñe­qua (poupée) faisant référence au même cray­on que la cumbia sus­men­tion­née.

Sácale la pun­ta al lápiz — Vie­ja Tro­va San­ti­a­guera

Le chanteur por­tor­i­cain de Sal­sa, Adal­ber­to San­ti­a­go, chante dans une sal­sa du même titre, « Sacale pun­ta ». Il s’agit dans ce cas de faire les comptes avec sa com­pagne qui l’a trompée. Comme la liste des reproches est longue, elle doit pré­par­er la mine de son cray­on pour pou­voir tout not­er. On est donc ici, dans la lignée sco­laire, du cray­on dont on doit affuter la mine.

Sácale pun­ta 1982-12-31 — Adal­ber­to San­ti­a­go

Dans l’esprit du cray­on pour écrire, on pour­rait penser au car­net de bal pour inscrire les parte­naires avec qui nous allons danser. Je n’y crois pas dans ce cas. Tout au plus le car­net et le cray­on seront pour not­er les coor­don­nées de la belle…

Et donc, pourquoi « Sacale punta » ?

Comme vous l’imaginez, les pistes précé­dentes ne me sat­is­font pas. Je vais vous don­ner ma ver­sion, ou plutôt mes ver­sions, mais qui se rejoignent. Pour cela, inter­ro­geons le lun­far­do, l’argot portègne.
En lun­far­do se dit : « de pun­ta en blan­co » qui sig­ni­fie élé­gant. Il est donc logique de penser que le nar­ra­teur souhaite sor­tir ses meilleurs vête­ments pour aller à la milon­ga.
Tou­jours en lun­far­do, « hac­er pun­ta » est aller de l’avant. On peut donc imag­in­er qu’il faut aller de l’avant pour aller à la milon­ga.
Con­tin­uons avec le lun­far­do : La pun­ta est aus­si un couteau, une arme blanche. Quand on con­naît la répu­ta­tion des com­padri­tos, on se dit qu’ils peu­vent être prêts à sor­tir le couteau à la moin­dre occa­sion à la milon­ga.
Pour résumer, il se pré­pare avec ses beaux habits, éventuelle­ment avec un couteau dans la poche pour les coups durs. Il est donc prêt pour aller à la milon­ga qui a déjà com­mencé, pour danser joue con­tre joue et dis­cuter ce qui se doit avec ceux qui se met­tent en tra­vers de sa route. On ne peut pas tout à fait exclure un dou­ble sens à la Vil­lol­do, surtout si on se réfère au fait que cette milon­ga se réfère au début du XXe siè­cle, époque où les paroles étaient beau­coup plus « libres ».

Lo de Laura

En effet, le dernier cou­plet, qui n’est pas chan­té ici, par­le du temps de Lau­ra. Il s’agit de la casa de Lau­ra (Lau­renti­na Mon­ser­rat). Elle était située en Paraguay 2512. Cette milon­ga était de bonne fréquen­ta­tion au début du vingtième siè­cle.

Lo de Lau­ra (Lau­renti­na Mon­ser­rat). Cette « mai­son » était située en Paraguay 2512. C’est main­tenant une mai­son de retraite…

Les danseurs pou­vaient danser avec les « femmes » de la mai­son moyen­nant le paiement de quelques pesos. Je ne con­nais pas le prix pour cette mai­son, mais dans une mai­son com­pa­ra­ble, Lo de Maria (La Vas­ca), le prix était de 3 pesos de l’heure. Le mari de la pro­prié­taire, « El Ingles » (Car­los Kern) veil­lait à ce que les pro­tégées soient respec­tées. On est tou­jours à l’époque du tan­go de prostibu­lo, mais avec classe.
Il indique que dès l’époque de Lau­ra, il était de Primer agua c’est-à-dire qu’il était déjà très bon. Un peu comme dans la milon­ga « En lo de Lau­ra » (musique d’Antonio Poli­to et paroles d’Enrique Cadí­camo). En effet, dans cette milon­ga, Cadí­camo a écrit : « Milon­ga provo­cado­ra que me dio car­tel de tau­ra… », Milon­ga provo­cante qui me don­na le titre de cham­pi­on (en fait, plutôt dans le sens de cador, caïd, com­padri­to, courageux, qui se mon­tre…).

En lo de Lau­ra 1943-03-12 — Orques­ta Ángel D’Agosti­no con Ángel Var­gas — Anto­nio Poli­to Letra Enrique Cadí­camo (Domin­go Enrique Cadí­camo)

Pour vous don­ner une idée de l’ambiance de Lo de Lau­ra, vous pou­vez regarder cet extrait du film argentin « La Par­da Flo­ra » de León Klimovsky et qui est sor­ti le 11 juil­let 1952. C’est bien sûr une recon­sti­tu­tion, avec les lim­ites que ce genre impose.

Recon­sti­tu­tion de l’am­biance en Lo de Lau­ra. Extrait du film argentin « La Par­da Flo­ra » de León Klimovsky sor­ti le 11 juil­let 1952

Dans cette par­tie du film se joue “El Entr­erri­ano” d’Ansel­mo Rosendo Men­dizábal. En effet, une tra­di­tion veut que Men­dizábal ait écrit ce tan­go en Lo de Lau­ra. Il était en effet pianiste dans cet étab­lisse­ment et c’est donc fort pos­si­ble. Il inter­ve­nait aus­si à Lo de Maria la Vas­ca et cer­tains affir­ment que cet dans ce dernier étab­lisse­ment qu’il a inau­guré le tan­go.
Notons que les deux affir­ma­tions ne sont pas con­tra­dic­toires, mais je préfère lever le doute en prenant le témoignage de José Guidobono, témoin et acteur de la chose.
Il décrit cela dans une let­tre envoyée en 1934 à Héc­tor et Luis Bates et qui la pub­lièrent en 1936 dans « Las his­to­rias del tan­go: sus autores » :

“Existía una casa de baile que era cono­ci­da por “María la Vas­ca”. Allí se bail­a­ba todas y toda la noche, a tres pesos hora por per­sona. Encon­tra­ba en esos bailes a estu­di­antes, cuidadores y jock­eys y en gen­er­al, gente bien. El pianista ofi­cial era Rosendo y allí fue donde por primera vez se tocó “El entr­erri­ano”. […] así se bailó has­ta las 6 a.m. Al reti­rarnos lo saludé a Rosendo, de quien era ami­go, y lo felic­ité por su tan­go inédi­to y sin nom­bre, y me dijo: “se lo voy a dedicar a ust­ed, pón­gale nom­bre”. Le agradecí pero no acep­té, y debo decir la ver­dad, no lo acep­té porque eso me iba a costar por lo menos cien pesos, al ten­er que ret­ribuir la aten­ción. Pero le sug­erí la idea que se lo ded­i­case a Segovia, un mucha­cho que pasea­ba con nosotros, ami­go tam­bién de Rosendo y admi­rador; así fue; Segovia acep­tó el ofrec­imien­to de Rosendo. Y se le puso “El entr­erri­ano” porque Segovia era ori­un­do de Entre Ríos.”.

José Guidobono

Tra­duc­tion :

Il y avait une mai­son de danse con­nue sous le nom de « María la Vas­ca ». On y dan­sait toute la nuit pour trois pesos de l’heure et par per­son­ne. À ces bals, j’ai croisé des étu­di­ants, des médecins et des jock­eys [c’était une soirée spé­ciale du Z Club, club auquel Rosendo Men­dizábal a d’ailleurs dédié un tan­go (Z Club)] et en général, de bonnes per­son­nes.
Le pianiste offi­ciel était Rosendo et c’est là que « El entr­erri­ano » a été joué pour la pre­mière fois. […] c’est ain­si qu’on a dan­sé jusqu’à 6 heures du matin.
En par­tant, j’ai salué Rosendo, dont j’étais ami, et je l’ai félic­ité pour son tan­go inédit et sans nom, et il m’a dit : « Je vais te le dédi­cac­er, donne-lui un nom ». Je l’ai remer­cié, mais je n’ai pas accep­té, et je dois dire la vérité, je ne l’ai pas accep­té parce que cela allait me coûter au moins cent pesos, pour le remerci­er de l’attention. Mais j’ai sug­géré l’idée qu’il le dédi­cace à Segovia, un garçon qui mar­chait avec nous, égale­ment ami et admi­ra­teur de Rosendo ; C’est comme ça que ça s’est passé ; Segovia a accep­té l’offre de Rosendo. Et il l’a inti­t­ulé « El Entr­erri­ano » parce que Segovia était orig­i­naire d’Entre Ríos. […] Rosendo a ain­si gag­né cent man­gos (pesos en lun­far­do). »

La face A du disque Victor 38397

Sur la face A du même disque Vic­tor a gravé une valse. Elle a été enreg­istrée le même jour par Dona­to et Lagos, comme c’est sou­vent le cas.
Cette valse est sub­lime, je vous la pro­pose donc ici :

Qué será ? 1938-03-09 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos — Pepe Guízar (MyL)

Ne pas con­fon­dre cette valse avec une au titre qui ne dif­fère que par deux let­tres…

Quién será ? 1941-10-13 — Orques­ta Edgar­do Dona­to con Hora­cio Lagos — Luis Rubis­tein (MyL)

Un clin d’œil pour les DJ

Felix Pich­er­na, un célèbre DJ de l’époque des cas­settes Philips, util­i­sait un cray­on pour rem­bobin­er ses cas­settes. Il devait donc sacar la pun­ta antes de la milon­ga.
J’en par­le dans mon arti­cle sur les tan­das.
Main­tenant, vous êtes prêts à danser à Lo de Lau­ra ou dans votre milon­ga favorite.

Felix Pinch­er­na util­isant un cray­on pour rem­bobin­er sa cas­sette de corti­na. http://www.molo7photoagency.com/blog/felix-picherna-el-muzicalizador-de-buenos-aires/04–9/